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La Minute Nécessaire est Terminée
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11 septembre 2004

C'est là

Ne pas penser et comprendre. Se laisser délicieusement porter par un mouvement qui ne nous contraint pas à l'action mais laisse le loisir de vivre et de ressentir, ressentir l'inimaginable pour l'action, subir l'action de la compréhension irrationnelle, vivre autre part l'espace d'un instant incalculable, indéfinissable et indissociable. Un bloc d'une autre vie. Comprendre sans penser, ne pas penser pour vivre des bribes d'un ailleurs, une sorte d'état second mais primaire en nous, qu'il fait bon de retrouver derrière les camouflages. Disons que ça c'en est une partie. Une autre partie est ce à quoi nous n'avions pas encore songé, ce que nous n'avions pas encore imaginé.

L'ensemble est inconnu à la raison, et dès qu'on en introduit une larme elle dissout le tout, qui fuit comme un banc de poissons, qui s'évanouit comme on se réveille à cause de la pluie et du tonnerre, et on ne peut plus retrouver le sommeil. On sait. Savoir-tout-court est un verbe à part entière

Il est la plupart du temps applicable lorsque l'on se réfère au ressenti et au vécu à l'heure de faire de la musique. Il en est probablement de même pour les arts plastiques. Lorsque l'on compose, on ne dirige pas ce que l'on fait, on n'essaye pas de comprendre cet embryon qui se profile. C'est un hybride étrange, et ce serait un crime de le modeler. La musique coule, elle déverse son flux et nous liquéfie ou nous sublime, à condition de se laisser faire. Alors les yeux ne regardent plus les doigts, le clavier. La tête tombe en arrière et c'est la chute. Les doigts se caressent, se palpent. Les poumons palpent la musique qui fuse, on se trompe de moins en moins, on y arrive, on croit que ça y est et les quelques petites erreurs sont bien loin sous nos pieds maintenant, ce sera quelque chose à régler, mais juste une formalité. On sait-tout-court, c'est tout.

Il y a les improvisations aussi. Elles arrivent sans l'annoncer, à des moments inattendus. On est physiquement à l'instrument mais on regarde ailleurs, la rue par la fenêtre, les gens qui passent, et on pianote, comme un chat perdu sur un clavier. Et puis ça monte, c'est l'élan abdominal qui arrive, bouscule les doigts verticalement. Les rythme est saccadé puis devient net, et on y est, entraînés. La structure est simple, on s'y installe confortablement et on fait varier les mélodies et les plaisirs. Mais c'est éphémère. Toute la satisfaction que l'on a en achevant doit aussi porter la conscience que ce moment est un but, atteint, et qu'essayer de retrouver cet instant, de reprendre cet élan, ce serait l'assassiner, aussi bien dans le présent que dans sa mémoire.

En ce qui concerne l'écrit, j'ai du mal à m'imaginer comment il pourrait transmettre ce savoir-tout-court. Les mots sont peut-être trop palpables dans ce domaine là. Mais je sais que c'est possible. Jusqu'à présent, le seul livre où je l'ai vu, c'est Moderato Cantabile de Marguerite Duras. C'est le seul livre que j'ai lu qui se ressente comme on joue un morceau. J'y sais-tout-court, dans mon coin, d'accord, mais c'est déjà suffisant. En ce sens il porte bien son titre.

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Commentaires
H
Euh, pas du tout, je ne savais meme pas que c'etait aussi une chanson de Jeanne Moreau. J'ai lu les paroles, et je me dis que ca doit resumer en essence l'histoire de Duras. Faudra que je la lise.
L
;-)<br /> Tu connais le rapport entre India Song et la chanson de Jeanne Moreau du même titre?
H
Il y a eu un film qui a ete fait a partir de ce livre, avec Jean-Paul Belmondo et Jeanne Moreau. Et, c'est etrange, mais la musique qui le traverse de part en part, entetante et melancolique, elle est comme superflue : oui, Moderato Cantabile est un livre qui se lit comme on dechiffre une partition : avec le coeur.<br /> <br /> Oh, c'est merveilleux, que tu aies ressenti (tout court!)!
La Minute Nécessaire est Terminée
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