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La Minute Nécessaire est Terminée
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22 octobre 2004

Un peu plus de familiarité que d'habitude

Quand on sortait du métro, un imbroglio pourtant assez simple d'escalators ayant l'air d'avoir été savamment étudié pour jouer sur la lumière, l'introduisait calmement: si l'on s'oubliait un peu, on ne distinguait plus, même dans le fond de l'air et dans son odeur, si c'était le jour ou la nuit avant d'emprunter la dernière montée. Et c'est dans ce contexte là, la tête puis le corps émergeant lentement du sous-sol, que j'apercevais en premier lieu le petit chien blanc.
Le temps de terminer complètement mon ascension, je l'observais avec son air vaguement perdu, en attente, en incessante exploration timide de cette entrée et de ses alentours. Le temps de sortir attendre le bus je le voyais tourner son museau vers son maître, vieillard taciturne qui semblait attendre autant que son petit chien blanc, de sorte qu'ils formaient comme un couple de l'absurde qu'une main a placé là, pièces inconnues sur un échiquier. Il fallait qu'ils soient là, mais ni l'un ni l'autre ne savaient pourquoi. Ils attendaient alors, s'implorant mutuellement une réponse.
Pour passer le temps le vieil homme regardait les passants. Il patientait les deux mains dans le dos tenant la laisse. Il portait une légère veste verte assez triste qui allait bien avec son visage. Chaque fois que je croisais son chemin il l'avait sur lui, la retirant lorsque l'été faisait peser sa chaleur en excès. On pouvait alors voir qu'il portait en-dessous une chemise dont les couleurs rappelaient encore plus que sa veste l'indécis d'une photo en noir et blanc. Avec son chien et lui, les couleurs de ses vêtement semblaient s'ajouter ironiquement à l'étrange ballet de leur présence absurde.
Ces rendez-vous étaient très incertains, et plus les mois passaient, plus je remarquais la lenteur de sa danse. Si son chien gardait certains élans agités, lui les perdait. Un jour, alors que j'avais terminé de sortir et que je patientais déjà dehors, je m'exaspérais de ne voir que son chien, seul. Le vieillard, lui, avait disparu et un personnage inconnu le remplaçait.

Dans nos chemins de tous les jours on croise de temps à autre un peu plus de familiarité que d'habitude, et il se peut même qu'on y établisse un code silencieux et secret, muet et intense. Il est sous jacent, dans un recoin inexploré car inintéressant de notre esprit. Mais dès qu'il est rompu il accapare l'attention. Devant cette absence, j'étais curieusement bouleversé, ou simplement aussi perdu que le petit chien blanc, qui l'était plus que d'habitude ce jour là.
Il m'aura fallu attendre plusieurs mois avant de revoir ce couple au complet, et la joie qui m'est venue faisait bien partie de cet univers d'absurde présence.

Il n'y a pas eu d'adieux. Aujourd'hui j'ai changé de ville, et eux continuent probablement leurs ballades, mais ils ont inscrits en moi leur histoire sans fin, une histoire sans début non plus d'ailleurs. Le ballet de leur présence absurde n'est qu'un chevauchement de présents dans ma mémoire.

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Commentaires
L
Les racines du quotidien...
H
Tu te rappelles de cette familiarité-là rompue dont je parlais, en décrivant la mort de l'homme qui fumait trop, sur le balcon de la maison d'en face? Je crois que c'était ça, exactement ça.
La Minute Nécessaire est Terminée
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